Message à toutes les personnes dans le monde qui continuent de se préoccuper du sort des habitants de Fukushima

(mars 2024)

Le 1er janvier 2024 s'est produit au Japon un séisme de magnitude 7,6, dont  l'épicentre était situé dans la péninsule de Noto, sur la côte nord-ouest de l’île principale de Honshû. Ce séisme, suivi d’un tsunami de 5,1 mètres, a provoqué de violents incendies - un désastre qui a fait de nombreuses victimes (note 1). "Que faire si un accident nucléaire venait s’ajouter à tout cela ?" -- Le choc a été grand pour beaucoup de gens, qui se sont remémorés, en un flash-back, la triple catastrophe de Fukushima en mars 2011, le séisme et le tsunami ayant alors entraîné un accident nucléaire majeur.

Fort heureusement cette fois, les centrales de Shika et de Kashiwazaki-Kariwa étaient à l’arrêt, même si leur redémarrage est prévu dans un avenir proche. Et surtout, grâce à l'opposition des habitants, le projet de construction d'une centrale nucléaire à Suzu a été gelé, ce qui a représenté pour nous à la fois un grand soulagement et une maigre consolation. En effet, c’est cette ville de Suzu qui a subi les plus grands dégâts lors du récent séisme.

Concernant la centrale de Shika, quelques incidents y ont été signalés : panne temporaire dans les dispositifs d'alimentation électrique externe et de secours, fuite de 20.000 tonnes d'huile du transformateur, écoulements d’eau à partir de la piscine de refroidissement du combustible... mais tous les aspects des dommages subis sont loin d’être encore connus.

Ce séisme de Noto a été provoqué par les mouvements conjugués de plusieurs lignes de failles s'étendant sur 150 km, provoquant des fissures et des soulèvements dans le sol, et la liquéfaction de certaines couches de terrain. Cela nous a conforté dans une certitude, déjà acquise lors de la catastrophe de Fukushima : il est extrêmement dangereux d’exploiter des centrales nucléaires sur un archipel constamment menacé par des séismes.

L'année dernière, le gouvernement japonais a fait adopter "la loi de transformation verte" (loi GX), destinée à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais en réalité, cette loi promeut la relance de l’énergie nucléaire, notamment en accélérant le redémarrage des centrales à l’arrêt. Or, la probabilité d'un grand séisme dans un futur proche ne fait qu’augmenter dans différentes régions côtières : le nord-est de l’île septentrionale de Hokkaidô (prolongeant l’arc des îles Kouriles) ; le département de Miyagi (au nord de Fukushima) ; sans compter les centaines de kilomètres de côtes situées de l’est au sud-est de l’archipel, en bordure de l’océan Pacifique, non loin d’une importante faille sous-marine. Faire fonctionner les centrales nucléaires dans de telles conditions présente un risque incommensurable.

Ajoutons à cela le rejet en mer de l'eau contaminée de la centrale Fukushima Dai-ichi - une eau qui, malgré sa filtration préalable grâce au système ALPS (Système avancé de traitement des liquides), contient toujours certains éléments radioactifs. Cette opération de rejet a débuté le 24 août 2023. La veille, je suis montée dans le bateau frété par le Centre citoyen de mesures de la radioactivité de la ville d’Iwaki, pour effectuer des mesures en mer. Et du large, à 1,5 km du rivage, j'ai contemplé la centrale de Fukushima Daiichi avec une sensation de désespoir insupportable. Depuis mars 2011, une quantité gigantesque de substances radioactives ne cesse de s’écouler dans la mer. À cela va s’ajouter désormais, pendant plusieurs décennies, cette eau contaminée qui, à partir de Fukushima, va empoisonner toutes les mers du monde ! N’avoir pas pu empêcher la décision du gouvernement de procéder à ces rejets nous meurtrit profondément.

Cependant, nous n’allons pas renoncer à nous opposer à cette opération : 363 personnes au total (des pêcheurs, des travailleurs dans le secteur de la pêche et d'autres citoyens), ont formé un groupe de plaignants pour engager une procédure judiciaire contre TEPCO et l'Etat « afin de stopper les rejets dans l'océan de l'eau contaminée traitée par l’ALPS".

Plus précisément, pour dénoncer la violation du droit des pêcheurs à exercer leur activité, et celle du droit des personnes humaines à mener leur vie dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, nous avons entamé une action au civil contre TEPCO, celle-ci se doublant d’une procédure administrative contre l’Etat pour demander qu’il annule l’autorisation de procéder à ces rejets d’eau contaminée. Nous nous appuierons sur les points suivants pour développer nos arguments : 

1) Dans cette affaire, le principe de précaution, qui fait partie du consensus international en matière de protection de l’environnement, n’a pas été respecté.

2) TEPCO et le gouvernement ont trahi l’engagement écrit fait aux « intéressés » de ne procéder à aucune opération de rejet sans leur consentement (note 2).

3) C’est à TEPCO, le pollueur, ainsi qu’à l’État tenu d’assumer la responsabilité de l’accident nucléaire, d’adopter des mesures alternatives moins nuisibles pour l’environnement.

4) Le rapport complet de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) "sur l'examen de la sûreté de l'eau traitée par l'ALPS" ne peut en aucun cas servir d’argument pour autoriser ces rejets (note 3).

5) Procéder à une telle opération, au mépris de l’opposition forte exprimée par l'opinion internationale, pose problème sur le plan diplomatique et éthique.

Le 4 mars de cette année, la première audience a eu lieu au Tribunal de première instance de Fukushima. Nous vous demandons de bien vouloir soutenir notre démarche.

En cette année 2024 qui a débuté au Japon par un désastre majeur, il nous faut plus que jamais élargir le mouvement afin de parvenir à mettre un terme, définitivement, au fonctionnement de toutes les centrales nucléaires. Actuellement, notre planète est confrontée à une situation de crise extrême : menaces de guerre nucléaire, dérèglement climatique, mouvements incessants de la croûte terrestre, pollution de la mer... Dans une crise aussi aigüe, il appartient aux citoyens du monde de regarder la réalité en face, et de se rassembler pour trouver la force d'affronter les difficultés. En chacun de nous réside une même aspiration à vivre en paix et en harmonie. C’est en la cultivant ensemble que nous pourrons œuvrer pour un avenir plus lumineux.

 

 

Notes

1. Au 1er mars 2024, 241 morts, 7 disparus, 77.804 foyers sinistrés

2. En 2015, TEPCO et l'Etat japonais avaient promis par écrit, à la Fédération de la Pêche de Fukushima, de ne procéder à aucune opération « sans la compréhension des intéressés », et de continuer à stocker l'eau contaminée sur le site de la centrale.

3. La mission de l'AIEA, fondée pour promouvoir le nucléaire civil, n'est pas de garantir la radioprotection. Dans ce rapport l'impact à long terme, sur l'écosystème marin, de l'eau contaminée traitée de Fukushima, n'est nullement pris en considération.

 

 

Fukushima, mars 2024, Ruiko MUTÔ,

déléguée de la partie plaignante au procès pénal intenté contre les dirigeants de TEPCO

(traduction française: yosomono-net France)

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HALBWERZEIT_2024
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